Le Garde des Sceaux exclut de conférer le caractère exécutoire à un accord de médiation contresigné par acte d’avocat. Son ministère ne soutiendra pas une réforme législative en ce sens. Une telle autorisation présentant un fort risque d’inconstitutionnalité. Il reste qu’en procédant de la sorte, la Chancellerie n’encourage pas le recours à la médiation.
1 - La Réponse ministérielle n°44 du 5 novembre 2020 à la question écrite n°17709 du 3 septembre 2020.
Au souhait formulé par le Conseil National des Barreaux (CNB) que les pouvoirs publics confèrent à titre expérimental, le caractère exécutoire de l’acte de médiation contresigné par l’avocat de chacune des parties dans les domaines de la médiation et de la procédure participative, le Garde des Sceaux répond qu’une telle autorisation présente un fort risque d’inconstitutionnalité et que son ministère ne soutiendra pas une réforme législative en ce sens.
Elle présente un cas de figure qui mérite attention, la Chancellerie, saisie d’une question écrite a refusé de permettre aux avocats de donner eux-mêmes force exécutoire aux accords de médiation qu’ils contresignent. Le Garde des Sceaux énonce les raisons notamment d’inconstitutionnalité qui s’opposent à cette requête.
Le Conseil Constitutionnel a rappelé dans sa décision n°99-416 du 23 juillet 1999 que :
« le législateur ne pouvait autoriser des personnes morales de droit privé à délivrer des titres exécutoires qu’à la condition qu’elles soient chargées d’une mission de service public ».
Or, les avocats dont l’indépendance interdit qu’ils soient soumis dans l’exercice de leurs missions à un contrôle administratif ne sauraient être considérés comme exerçant une telle mission dans les conditions notamment définies par le Conseil d’Etat [1].
2 - On peut deviner l’inspiration de la Chancellerie qui a pensé qu’en se prononçant d’emblée positivement sur la force exécutoire, on risquait de méconnaître les principes constitutionnels.
Le refus était inévitable.
Nul n’ignore le principe d’indépendance de l’avocat et que comme l’a rappelé la Chancellerie, il s’oppose à permettre aux avocats de donner eux-mêmes force exécutoire aux accords de médiation qu’ils contresignent.
Depuis toujours, l’indépendance de l’avocat est une évidence.
Il n’est pas d’avocat qui ne soit indépendant, ce qui signifie très clairement que l’avocat ne saurait être dans un lien quelconque de subordination morale, intellectuelle, juridique ou économique.
L’indépendance est une vertu consubstantielle à la profession d’avocat.
L’article 1er de la Loi du 31 décembre 1971 rappelle que :
« la profession d’avocat est une profession libérale et indépendante quel que soit son mode d’exercice ».
L’article 2 du décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 relatif à la déontologie reprend le texte de la loi en intégrant l’indépendance de l’avocat au titre 1er intitulé :
« les principes essentiels de la profession d’avocat ».
Enfin, l’article 1-1 du Règlement Intérieur National (RIN) intègre à son tour le texte du décret et l’indépendance de l’avocat au titre intitulé :
« les principes essentiels de la profession d’avocat ».
Pour être complet, l’article 2 du Code de déontologie Européen élaboré par le Conseil des Barreaux de la Communauté Européenne (CCBE) évoque le principe de l’indépendance dans des termes précis et déclare que :
« la multiplicité des devoirs incombant à l’avocat lui impose une indépendance absolue exempte de toute pression, notamment de celles résultant de ses propres intérêts ou d’influences extérieures ».
La Charte des principes fondamentaux de l’avocat Européen reconnue par l’ensemble des 27 barreaux de l’Union Européenne énumère en premier lieu :
« le principe de l’indépendance et de la liberté de l’avocat d’assurer la défense de son client ».
3 - Cette indépendance est aussi nécessaire pour la confiance en la justice que l’impartialité du juge.
On peut donc considérer que l’indépendance de l’avocat est un devoir ardent et participe à la conception commune de son rôle dans une société démocratique par l’ensemble de l’Europe.
Il apparaît clairement que l’indépendance de l’avocat doit être défendue non seulement par rapport aux tiers mais aussi ce qui n’est pas moins essentiel par rapport à l’avocat lui-même.
L’avocat doit être indépendant intellectuellement et moralement du pouvoir et des régimes politiques, des familles spirituelles, de ses engagements dans la société ou encore des systèmes économiques.
L’avocat doit donc éviter toute atteinte à son indépendance et veiller à ne pas négliger l’éthique professionnelle pour plaire à son client, au juge ou à des tiers.
Cette indépendance est nécessaire pour l’activité juridique, l’activité de médiation comme pour les autres affaires judiciaires, le conseil donné à son client par l’avocat n’ayant aucune valeur réelle, s’il n’a été donné que par la complaisance, par intérêt personnel ou sous l’effet d’une pression extérieure.
4 - La réticence de la Chancellerie à conférer le caractère exécutoire à un acte de médiation contresigné par l’avocat a une raison qui devait conduire à se demander si cette réticence ne vient pas de ce que les avocats dont l’indépendance interdit qu’ils soient soumis dans l’exercice de leurs missions à une contrôle administratif pouvaient ou non les autoriser à donner eux-mêmes sa force exécutoire aux accords de médiation qu’ils contresignent.
L’indépendance n’est pas un vain mot puisque c’est le premier principe essentiel de la profession, rappelé par le législateur lui-même et l’ensemble de la communauté des avocats en Europe.
On comprend que le législateur n’autorise les personnes morales de droit privé à délivrer des titres exécutoires qu’à la condition qu’elles soient chargées d’une mission de service public.
La loi permet d’obtenir l’homologation par le juge des accords conclu dans le cadre de la médiation et ce dans des brefs délais et devant l’ensemble des juridictions.
Enfin, il doit être souligné que de tels actes ne pourraient au regard des règles européennes circuler librement au sein de l’Union et bénéficier de la reconnaissance et de l’efficacité conférée aux décisions de justice et aux actes authentiques.
Et pour cette raison, nous persistons à penser que la solution raisonnable consiste à reconnaître à l’avocat la faculté de décider quels accords conclus dans le cadre de la médiation seront soumis ou non à une juridiction et à reconnaître au juge de l’ordre judiciaire la faculté d’homologuer les accords conclus dans ce cadre.
Il reste qu’en procédant de la sorte, le Garde des Sceaux n’encourage pas le recours à la médiation.
Notes.
Motion adoptée par le Conseil National des Barreaux le 3 avril 2020.
Question écrite n° 17709 de M. Antoine Lefèvre (Aisne - Les Républicains) publiée dans le JO Sénat du 03/09/2020 - page 3850.
Décision du Conseil Constitutionnel n° 99-416 DC du 23 juillet 1999.
Décision du Conseil d’Etat, Section du Contentieux, 22/02/2007, 264541, Publié au recueil Lebon.